Yvonne Loriod et Bruno Ducol célébrés au Festival Messiaen

Ascension à la Grave

On arrive à l'église de la Grave par une rue en pente qui surplombe ce « plus beau village de France » perché à 1500 m d'altitude dans la vallée de l'Oisans, face à la Meije et son glacier. Il fond d'année en année, mais les neiges éternelles sont bien là, au cœur de l'été. L'église est bordée d'un cimetière et c'est là qu'à 17 heures, le public du festival Messiaen – certains encore avec les bâtons de marche, d'autres, déjà élégants pour enchaîner les deux concerts – était rassemblé. L'attention est grande dans cet écrin qui respire la spiritualité.

 

Regards, départs et rythme

Jonas Vitaud prend place au piano. Et ce n'est pas la soprano Laura Holmes qui chante tout de suite avec lui, mais le comédien Matthieu Marie qui « dit » l'Adieu à la Terre de Franz Schubert. Un brin de romantisme ici, qui nous signifie que nous entrons dans un concert solennel, où les mots et la musique s'allient pour accompagner l'âme. En vis-à-vis, nous entendons trois extraits du très virtuose « Harawi » (1945), « un chant d'amour et de mort » qu'Olivier Messiaen a composé au moment où sa première épouse, Claire Delbos, allait entrer à l'hôpital psychiatrique pour ne pratiquement plus en sortir… Avec une intensité et un jeu envoûtants, Laura Holmes transforme les paroles andines de la pièce en glossolalie. Avec une acmé pour « Doundou Tchil », quelque part entre colère, ironie et destin. C'est presque sans transition que nous traversons les temps pour entendre deux extraits des Études de rythmes de Bruno Ducol (1992) qui par leur fulgurance laissent rêver à un mouvement éternel… En préparation de la création de la soirée, c'est le « Regard du silence » qui a été choisi parmi les Vingt Regards sur l'enfant Jésus de Messiaen.


Entre regard et silence

Le compositeur, Professeur d'analyse au CNSMD et ancien élève d'Olivier Messiaen, Bruno Ducol est mort le 11 janvier dernier. En 2022, il avait travaillé ici, à la Meije, avec les deux musiciens et le comédien sur sa dernière pièce Entre regard et silence. Sa femme, Annie, présente dans l'église de la Grave pour cette création, a trouvé la partition inachevée sur le mot « Revivre » au moment de son décès. « Revivre » serait un autre beau titre pour cette œuvre si symbolique, qui semble presque être un anti-requiem. Il ne s'agit pas d'accompagner une âme qui part, ce que Messiaen faisait encore avec Harawi, mais plutôt de sonder le souffle qui reste. Le rythme est déroutant, devant le piano de plus en plus ouvert, qui offre ses cordes aux trois artistes pour qu'ils en sortent tous du son. Dans cette pièce déroutante, et qui semble venir de loin, les mots sont cruciaux, puisque Bruno Ducol a composé cette œuvre à partir des textes extraits du Livre du Vide médian de François Cheng. Si « Le vrai est ce qui tremble », nous sommes sortis tremblants de cette création très émouvante.


https://cult.news/musique/classique/yvonne-loriod-et-bruno-ducol-celebres-au-festival-messiaen/

https://www.resmusica.com/2022/06/04/voyage-vers-linconnu-avec-bruno-ducol/