Créations posthumes, ultime défi à la mort

Organisée par l'Aida, la 26e édition du Festival Messiaen au pays de la Meije rendait hommage à Bruno Ducol, élève de Messiaen, disparu en janvier 2024, ainsi qu'à Yvonne Loriod, pianiste et épouse de Messiaen, dont des œuvres de jeunesse sont entendues en première mondiale dans l'église de la Grave.

On soulignera l'excellente qualité de la feuille de salle distribuée à l'entrée de l'église, fournissant tous les éléments nécessaires à la compréhension des programmes dont la constitution met habilement les œuvres de Messiaen en regard de celles de Ducol et de Loriod.

Abschied

« La musique de Bruno Ducol est précisément d'une très belle qualité », a dit Messiaen en 1978 au sujet de son élève. C'est une référence en ce point plus romantique, l'Adieu à la terre de Schubert, qui précède ce soir sa dernière composition. Puis trois extraits de Harawi de Messiaen engageant la soprano Laura Holm et le pianiste Jonas Vitaud vers des timbres, des couleurs et une vocalisation dont on retrouvera la matière dans la création de Ducol, dont l'aptitude à faire coexister plusieurs sources sonores et rythmiques nourri son dernier opus. C'est bien à Messiaen que Ducol voulait rendre hommage dans Entre regard et silence, qu'il savait être sa dernière œuvre. L'écho du Regard du silence, 17e des Vingt regards sur l'Enfant Jésus de Messiaen, en est l'introduction. Une vraie inspiration.

Parlé-chanté poétique

Souvent programmé au Festival Messiaen, la musique de Ducol est une invitation à partager l'immense culture et l'imaginaire d'un créateur de compromis et de cœur. Entre regard et silence a réuni des artistes sonores (voix parlée, voix chantée et piano) aux timbres proches de l'académicien franco-chinois François Cheng, dont le Livre du Vide médian est le texte source. La chanteuse Laura Holm, le pianiste Jonas Vitaud, tout comme Matthieu Marie ont su associer le geste vocal au respect de la prosodie des textes. Le dernier instrument de percussion qui semble se dissoudre au moment du gong bourdon des chants tibétains. Au gré de la prosodie des mots, cette résonance discrète était discrète et parfaitement poétique au cœur de cette œuvre.

Complicité de 19 ans

Le concert dédié à Yvonne Loriod est présenté par Peter Asimov, qui a édité pour l'Ensemble TM+ les manuscrits de la compositrice. Les Trois mélopées africaines ont été écrites alors que la pianiste n'avait que 19 ans. Une étonnante modernité que Nathalie Forget y voit en onde martenot, s'alliant à la flûte d'Anne-Cécile Cuniot dans un son d'amour « à la brutalité intransigeante et à la beauté exsangue » (P. Asimov). Surprise et poésie que la lyrique des premiers messes sur l'orgue à la place de l'aveugle des aveugles dans un chemin poétique abordé en toute ignorance de la réponse. Et l'on repense à l'instant au premier des longs textes au chemin si peu de mystère dont la compréhension semble limitée à quelques paroles comme « Je suis le Sud qui cherche le Nord ».