Création à Lyon, par David Guerrier (cor) et le chœur Britten sous la direction de Nicole Corti, à l'occasion du 30e anniversaire du chœur Britten
En composant Le jour naissait à peine… j'eus l'idée de recréer sur le modèle de Monteverdi un « concerto de madrigaux », et de juxtaposer, comme dans son Septième Livre (je pense notamment au "Con che soavità"), trois chœurs, en l 'occurrence un 1er exclusivement féminin, le 2e masculin, le 3e mixte. Et puis, à l'instar du compositeur italien, ce dispositif me permit de jouer naturellement sur des combinaisons de registres et timbres très variés, mais aussi de faire circuler et rebondir les voix à travers les divers espaces qui leur sont dévolus. Car je souhaitais insuffler la dynamique et l'expressivité d'un texte oscillant continûment entre réalité et rêve métaphysique. Approcher et transférer par l'intermédiaire des voix dans tous leurs états l'étrange beauté du Triptyque de Florence Delay où se confondent à dessein les parterres de fleurs - quasi tangibles, odorants - et les fugaces jardins de paradis, tel fut mon principal but.
A côté de cette spatialisation, je personnalisai chaque ensemble en lui confiant des rythmes, tropes et sonorités spécifiques, des « transcriptions » anglaises par exemple pour le chœur mixte, ou italiennes (d'après Pétrarque) pour le chœur féminin, etc., espérant ainsi éclairer les multiples perspectives du poème. Je voulais que des voix comme venues d'ailleurs (wie aus der Ferne, aurait dit Schoenberg), voix d'un autre monde où se mêlent nos utopies, nos croyances et nos fantasmes ( ?), que ces voix répondissent à d'autres plus proches, plus familières… Toutes tendues et finalement neutralisées dans un univers apaisé, les voix se superposeront en 2 groupes de 3 quintes, notamment lorsque sera évoqué le chant de la petite fille…
Le « concerto » se fait donc passage d'un ensemble à l'autre, d'une langue à l'autre, d'un affect à l'autre, d'un univers à l'autre. De son côté, le cor solo assume le plus souvent le passage d'une étape à l'autre, dans un temps qui défie parfois sa linéarité. La récurrence de motifs littéraires (Delay en miroir de Pétrarque) ou musicaux (en particulier ce Wanderer schubertien émanant de la sonate D. 959), déjoue toute chronologie dans ces jardins où errent en silence ceux qui nous ont quittés, ces absents qui sont pourtant là, trop intensément là, comme l'écrit François Cheng. Héros d'un passé écrasant, artistes entrés dans un panthéon tout à la fois sidérant et de marbre, géniteurs ou proches parents aux souvenirs enjôleurs, ces absents se font attendrissants, mais aussi parfois accablants…
B.D., 21-X-12
Nomenclature
Chœur I | sur l'avant scène (à cour) 1 soprano 1 1 soprano 2 1 mezzo-soprano 1 contralto |
Chœur II | sur l'avant scène (à jardin) 1 haute-contre 1 ténor 1 baryton 1 basse (profonde) |
Chœur III | formant un hémicycle (au lointain) 4 soprani 4 alti 4 ténors 4 basses |
1 cor en fa solo | (se munir de sourdines, bol et métal) |
Textes
Dimanche matin tôt, jour pas encore levé | | |
| Sunday morning, early | |
| | Spuntava il dì quando la rosa Sovra une piaggia erbosa … Le jour naissait à peine Quand la rose sur une colline herbeuse S'ouvrit en saluant l'aube d'un rire … […] |
Il marche | | |
| He walks, he walks | |
Il marche pieds nus dans l'herbe Il se réhabitue à vivre | | |
| He takes a breath | |
Il respire | | |
| He finds the scent of violets the scent of daffodils | |
Il reconnaît le parfum des violettes et des jacinthes Près de son tombeau, les pensées Les pensées le regardent de leurs beaux yeux d'illettrées Que pensent les pensées ? | | |
| He hears a woman sobbing close to his grave | |
Hou ! Hou ! Hou ! Il entend une femme sangloter Le jour se lève sur le jardin dont il n'est pas le jardinier Il s'éloigne | | |
| He moves away, away | |
Il s'éloigne à travers prés | | |
| He moves away through meadows | |
Pervenches, anémones, iris, cardamines mauves, Toutes les fleurs du printemps portent encore son deuil […] | | |
| He wanders around a friend's home | |
Il rôde autour d'une maison amie […] Un lilas qui n'était qu'en bourgeons Déploie ses grappes mauves | | |
| The bluebells, iris and windflowers All the flowers go into mourning for him | |
Il entend rire et courir […] | | |
| One hears laughter and movement Along a stream bordered by Narcissus and daffodils | |
Une petite fille chante : « Es-tu narcisse ou jonquille ? » […] | | |
| | E rise il prato tutto odorato E i colli e le campagne innamorò Et le pré tout odorant se mit à rire Et collines et vallons s'en éprirent […] |
Le jour décline Monte dans ma barque supplie le soleil ! […] | | |
D'après Florence Delay | | Francesco Petrarca
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1 Cette oeuvre, commandée par le chœur Britten, a été écrite à la mémoire de mon père.
Editions Musicales Rubin, Lyon, 2012.