Oeuvres / Le jour naissait à peine... ¹


Pour 3 chœurs et 1 cor solo, op. 42
d'après un texte original de Florence Delay

Création à Lyon, par David Guerrier (cor) et le chœur Britten sous la direction de Nicole Corti, à l'occasion du 30e anniversaire du chœur Britten


Parfois les absents sont là [...]
Trop intensément là
Ils gardent le silence encore
François Cheng

En composant Le jour naissait à peine… j'eus l'idée de recréer sur le modèle de Monteverdi un « concerto de madrigaux », et de juxtaposer, comme dans son Septième Livre (je pense notamment au "Con che soavità"), trois chœurs, en l 'occurrence un 1er exclusivement féminin, le 2e masculin, le 3e mixte. Et puis, à l'instar du compositeur italien, ce dispositif me permit de jouer naturellement sur des combinaisons de registres et timbres très variés, mais aussi de faire circuler et rebondir les voix à travers les divers espaces qui leur sont dévolus. Car je souhaitais insuffler la dynamique et l'expressivité d'un texte oscillant continûment entre réalité et rêve métaphysique. Approcher et transférer par l'intermédiaire des voix dans tous leurs états l'étrange beauté du Triptyque de Florence Delay où se confondent à dessein les parterres de fleurs - quasi tangibles, odorants - et les fugaces jardins de paradis, tel fut mon principal but.


A côté de cette spatialisation, je personnalisai chaque ensemble en lui confiant des rythmes, tropes et sonorités spécifiques, des « transcriptions » anglaises par exemple pour le chœur mixte, ou italiennes (d'après Pétrarque) pour le chœur féminin, etc., espérant ainsi éclairer les multiples perspectives du poème. Je voulais que des voix comme venues d'ailleurs (wie aus der Ferne, aurait dit Schoenberg), voix d'un autre monde où se mêlent nos utopies, nos croyances et nos fantasmes ( ?), que ces voix répondissent à d'autres plus proches, plus familières… Toutes tendues et finalement neutralisées dans un univers apaisé, les voix se superposeront en 2 groupes de 3 quintes, notamment lorsque sera évoqué le chant de la petite fille…


Le « concerto » se fait donc passage d'un ensemble à l'autre, d'une langue à l'autre, d'un affect à l'autre, d'un univers à l'autre. De son côté, le cor solo assume le plus souvent le passage d'une étape à l'autre, dans un temps qui défie parfois sa linéarité. La récurrence de motifs littéraires (Delay en miroir de Pétrarque) ou musicaux (en particulier ce Wanderer schubertien émanant de la sonate D. 959), déjoue toute chronologie dans ces jardins où errent en silence ceux qui nous ont quittés, ces absents qui sont pourtant là, trop intensément là, comme l'écrit François Cheng. Héros d'un passé écrasant, artistes entrés dans un panthéon tout à la fois sidérant et de marbre, géniteurs ou proches parents aux souvenirs enjôleurs, ces absents se font attendrissants, mais aussi parfois accablants…

B.D., 21-X-12

Nomenclature

Chœur I

sur l'avant scène (à cour)

1 soprano 1
1 soprano 2
1 mezzo-soprano
1 contralto

Chœur II

sur l'avant scène (à jardin)

1 haute-contre
1 ténor
1 baryton
1 basse (profonde)

Chœur III

formant un hémicycle (au lointain)

4 soprani
4 alti
4 ténors
4 basses

1 cor en fa solo(se munir de sourdines, bol et métal)






















Textes                                                                                                                                        

Dimanche matin tôt,
jour pas encore levé
Sunday morning, early

Spuntava il dì quando la rosa
Sovra une piaggia erbosa …
Le jour naissait à peine
Quand la rose sur une colline herbeuse
S'ouvrit en saluant l'aube d'un rire 

[…]

Il marche
He walks, he walks
Il marche pieds nus dans l'herbe
Il se réhabitue à vivre
He takes a breath
Il respire
He finds the scent of violets
the scent of daffodils

Il reconnaît le parfum des violettes
et des jacinthes
Près de son tombeau, les pensées
Les pensées le regardent
de leurs beaux yeux d'illettrées
Que pensent les pensées ?

He hears a woman sobbing
close to his grave

Hou ! Hou ! Hou !
Il entend une femme sangloter
Le jour se lève sur le jardin
dont il n'est pas le jardinier

Il s'éloigne

He moves away, away
Il s'éloigne à travers prés
He moves away through meadows
Pervenches, anémones, iris,
cardamines mauves,
Toutes les fleurs du printemps
portent encore son deuil
[…]
He wanders around a friend's home
Il rôde autour d'une maison amie
[…]
Un lilas qui n'était qu'en bourgeons
Déploie ses grappes mauves
The bluebells, iris and windflowers
All the flowers go into mourning
for him
Il entend rire et courir […]
One hears laughter and movement
Along a stream bordered by
Narcissus and daffodils
Une petite fille chante :
« Es-tu narcisse ou jonquille ? »
[…]
E rise il prato tutto odorato
E i colli e le campagne innamorò
Et le pré tout odorant se mit à rire
Et collines et vallons s'en éprirent

[…]
Le jour décline
Monte dans ma barque supplie le soleil !
[…]

D'après Florence Delay

Francesco Petrarca
 











































































1 Cette oeuvre, commandée par le chœur Britten, a été écrite à la mémoire de mon père.
Editions Musicales Rubin, Lyon, 2012.